Rencontres, frissons et addiction
Suite à la proposition de Stéphanie, journaliste dans un magazine de presse féminine, qui recherchait des témoignages sur ce qu’il peut y avoir d’addictif dans les rencontres sur Internet, je me suis prêté au jeu des questions / réponses en tentant d’apporter quelques petites réflexions sur le sujet. Et comme cela m’a permis de revenir sur les origines de ce blog, voilà une excellente occasion de démarrer ici la rentrée 2009 ! Et vous, vous avez un point de vue sur la question ?
Stéphanie : Qu’est-ce qui vous a amené à faire les rencontres que vous racontez dans votre blog ?
Moi : Au début de l’année 2003, je venais de quitter une entreprise dans laquelle j’avais travaillé pendant plusieurs années. Les périodes de transition sont souvent idéales pour se remettre en question et pour entamer de nouvelles choses. A l’époque, j’étais célibataire depuis pas mal de temps et je suis parti du constat que je faisais beaucoup moins de rencontres qu’avant : le milieu professionnel n’était pas adéquat, mon cercle d’amis commençait à tourner en boucle (les amis de mes amis étant déjà mes amis) et je ne fréquentais pas de boîtes de nuit et autres lieux de sociabilité artificielle, y étant particulièrement allergique.
Dans ce contexte, et dans la mesure où je n’avais pas envie de me marier avec la première venue, je voyais difficilement comment ma situation de célibat allait pouvoir changer à court ou moyen terme. La patience et le hasard dont j’entends souvent parler (« l’amour, ça vient tout seul » ou encore « c’est quand on cherche qu’on ne trouve pas ») sont des mirages absolus. Le hasard n’est qu’un petit ingrédient qui s’ajoute à ce que l’on provoque soi-même, consciemment ou pas. Dans la vie, que ce soit professionnellement, socialement ou sentimentalement, rien ne s’obtient jamais par le hasard. C’est à soi qu’il appartient de faire avancer les choses et de favoriser des circonstances. J’avais donc conscience qu’il fallait d’une certaine manière que je prenne en main ma vie sentimentale, et que je trouve des moyens de provoquer des rencontres.
C’est au même moment que j’ai découvert le phénomène des blogs et que l’envie d’en écrire un m’est venue. J’ai trouvé l’idée de consigner sur un blog mes nouvelles résolutions et démarches sentimentales intéressante et amusante. Surtout que j’allais pouvoir compter sur le fait que mon blog allait stimuler ma quête et inversement. Anadema’s Story était né.
Stéphanie : Pourquoi avoir choisi les sites de rencontre ?
Moi : Au départ, je n’avais vraiment aucune préférence pour les sites de rencontres amoureuses sur Internet : je souhaitais juste trouver un moyen de provoquer des rencontres… Juste que je ne savais pas encore de quelle façon j’allais pouvoir m’y prendre ! J’ai alors simplement fait l’état des lieux : aborder volontairement une fille à mon goût dans la rue ou dans un bar était un concept trop violent pour mon métabolisme : n’étant pas un dragueur-né, manquant de confiance en moi, ce n’était pas du tout dans ma nature d’aborder comme ça des filles dans un lieu public. Je n’étais pas très porté non plus sur la désinhibition via alcool, drogue ou vacarme de discothèque et je ne faisais partie d’aucun club d’une activité particulière. Du coup, les sites de rencontres sur Internet se sont présentés assez naturellement comme un moyen idéal pour faire des rencontres : des filles célibataires en nombre inépuisable, la protection rapprochée de mon écran derrière lequel me cacher en cas de problème… Cela s’annonçait pour moi comme un terrain d’expérimentation pratique, simple et potentiellement efficace. Il faut noter qu’en 2003, s’inscrire sur un site de rencontres, ça ressemblait un peu à la conquête spatiale : je ne savais pas du tout où j’allais mettre les pieds. Voilà comment ma quête sentimentale et mon blog se sont inscrits dans le thème des cyber-rencontres !
Stéphanie : Combien de rencontres avez-vous faites, et depuis combien de temps ?
Moi : Il faut distinguer les rencontres réelles et les rencontres restées « virtuelles ». Des rencontres réelles, c’est à dire initiées via Internet mais qui se sont concrétisées par une rencontre en chair et en os, j’en ai fait une petite trentaine en tout depuis 2003. Tandis que des rencontres virtuelles, c’est à dire qui en sont restées au stade du mail ou du tchat, j’ai dû en faire pas loin de… 400 ! Cela peut paraître énorme à qui n’a jamais mis les pieds sur un site de rencontres mais c’est en réalité extrêmement banal : un des propres des sites de rencontres sur Internet, véritablement, c’est de permettre une quantité astronomique de « mises en relation », quantité à rapporter à celle très faible de relations qui aboutissent à quelque chose de plus que quelques minutes partagées dans le virtuel complet. Au final, des 400 approchées virtuellement, puis de cette petite trentaine rencontrées depuis le début de mon blog, j’ai couché avec onze filles.
Stéphanie : Que ressentez-vous à chacune des ces rencontres ?
Moi : Pour ce qui est des rencontres réelles, je dirais : une forme d’excitation émotionnelle toujours mélangée à un peu d’appréhension (qui tend à diminuer tout de même au fil des rencontres). Une forme de trac qui tient de celle du comédien qui s’apprête à entrer sur scène. Une nouvelle rencontre, ça reste surtout quelque chose de stimulant, quel que soit, oserais-je dire, son correspondant. Même si l’enjeu est faible (parce qu’on sent par avance que les affinités seront limitées, par exemple), la motivation et l’envie sont généralement là. Découvrir quelqu’un, c’est enrichissant et agréable, et, dans la mesure où il y a un enjeu sexuel qui s’ajoute, cela rend la démarche encore plus excitante à tous points de vue. J’ai parfois entendu parler de gens un peu blasés à force de rencontres. Pour ma part, j’ai toujours fait attention à ne pas rencontrer trop de filles (le « trop » étant sans doute une notion à déterminer en fonction de chacun) et à ne pas tomber dans l’enchaînement compulsif et rébarbatif : il me plaît de garder une dimension humaine dans mes relations aux autres, ça nécessite plus de temps et moins de quantité.
Pour ce qui est des rencontres virtuelles, c’est un peu la même chose à une échelle différente. Mais le trac de la rencontre, l’appréhension, il n’y en a pas. Le virtuel est un désinhibiteur, l’égo étant à l’abri derrière un écran. Cela permet une approche des rencontres assez différente, plus directe, plus sauvage, voire plus expérimentale. L’enjeu est moins important, ce qui permet aussi d’être plus relâché. Débarassée d’un certain trac, la rencontre virtuelle peut gagner en excitation (émotionnelle), d’autant plus qu’il est plus facile de fantasmer l’autre tel qu’on le souhaiterait dans la réalité. C’est la raison pour laquelle on trouve toujours un certain nombre de gens inscrits sur des sites de rencontres qui se limitent aux rencontres virtuelles sans vouloir jamais passer à l’acte : parce que c’est déjà extrêmement stimulant et que ça met les hormones en ébullition. Et ceux qui sont en couple peuvent ainsi aller s’émoustiller dans les voies de l’adultère non consommée en gardant la conscience tranquille.
Stéphanie : Hormis la perspective d’une relation à long terme, qu’est-ce que ces rencontres vous apportent ?
Moi : Rencontrer des gens, c’est enrichissant et passionnant. Faire l’amour, c’est agréable. Si elles ne m’amènent pas à une relation à long terme, ces rencontres m’apportent ces deux choses : l’épanouissement et le plaisir. Ce n’est pas plus compliqué que cela.
Stéphanie : Pensez-vous que, si vous trouviez « la femme formidable », vous pourriez arrêter totalement du jour au lendemain de faire des rencontres ?
Moi : Si je trouvais une « femme formidable », je pense que je pourrais effectivement arrêter de faire des rencontres. Au delà de considérations morales, d’une part j’en aurais moins envie. D’autre part j’aurais moins de temps à y consacrer. Je ne suis pas dépendant aux rencontres, il m’arrive de ne pas en faire pendant des mois lorsque je n’en ai pas le temps ni l’envie.
Stéphanie : Y-a-t-il eu des périodes où vous avez choisi d’arrêter de faire des rencontres ?
Moi : Oui, lorsque j’étais déjà suffisamment occupé dans une relation avec une fille, par exemple. Plus qu’un véritable choix, c’est surtout une affaire de circonstances, de temps et d’envie. J’ai fait des rencontres dont la relation a duré plusieurs mois voire plusieurs années. Durant ce temps, j’ai toujours eu moins envie de poursuivre ma quête.
Stéphanie : A quel point pensez-vous que ces rencontres de nouvelles personnes peuvent constituer une sorte d’addiction, comme on peut en avoir pour le jeu, par exemple ?
Moi : Toute nouvelle rencontre et par extension relation est particulièrement stimulante à ses débuts. C’est généralement le manque d’affinités dans le couple qui rejaillit par la suite lorsque cette excitation liée à la nouveauté retombe, qui fait que les couples ne durent que quelques semaines ou au mieux quelques mois. Simplement parce que le relais des affinités et de l’attirance profonde vient à manquer. Rencontrer quelqu’un avec qui partager des affinités sentimentales profondes, une « âme-soeur », c’est rare et difficile. C’est la raison pour laquelle on peut être tenté de rentrer dans un schéma de rencontres nouvelles permanentes, tout simplement pour continuer à ressentir le grand frisson du début, qui nous stimule plus qu’il ne le devrait dans l’absolu. Cet engouement lié à la nouveauté est valable tant pour une rencontre en chair et en os que pour une rencontre qui reste virtuelle, d’ailleurs. Car c’est tout le potentiel sexuel, l’idée du possible qui suffit déjà à rendre le moment fort.
Reste à savoir dans quelle mesure cette forme d’excitation vive tend à diminuer à force de la solliciter, ce qui pourrait amener effectivement à en vouloir toujours plus et plus vite pour rester à un certain niveau de stimuli. On peut sans doute finir par être plus attiré par la nouveauté et son corrollaire que par l’idée d’une relation en elle-même, et ne plus se satisfaire d’une vie de couple régulière et ordinaire (si tant est que ce soit le modèle idéal). A partir de ce moment, on quitte le domaine du simple plaisir pour partir dans l’addiction. En ce qui me concerne, je n’ai jamais senti de forme d’addiction particulière : je marche plus par phases. J’ai parfois envie de faire des rencontres, parfois pas. Mais dans tous les cas, si j’en abuse, au lieu de me droguer, ça a plutôt tendance à me lasser !
L’autre côté addictif possible, au-delà du principe de plaisir, est la quête permanente du « mieux ». De la même façon que le joueur maladif rejoue compulsivement dans l’espoir de décrocher le gros lot, le célibataire addict peut être tenté de multiplier indéfiniment les rencontres, devant les multiples chances qui lui sont proposées de « rejouer », jouer une rencontre nouvelle avec l’espoir sans cesse renouvelé de trouver toujours mieux plus loin. Il appartient à chacun de ne pas se perdre et de garder à l’esprit ce qui est essentiel pour soi dans une relation et ce qui ne l’est pas. On peut avoir des attentes sans pour autant rechercher la perfection. La difficulté principale reste de comprendre la nature de ces attentes et de se concentrer sur ce qui fonctionne dans une relation plutôt que sur ce qui manque.
Les sites de rencontres offrent un moyen incroyablement simple d’entrer en relation avec l’autre. Sans doute que les sites de rencontres pour les adultes en couple sont le pot de confiture en haut du placard pour les enfants. Comme je reste persuadé que la plupart des couples ne sont fidèles (sur le long terme) que parce qu’ils manquent de tentations extérieures, je ne serais pas étonné que l’on découvre à terme comme les sites de rencontres auront bouleversé la vie sexuelle des hommes et des femmes, à même de modifier la structure du modèle conjugal.
7 commentaires :
Ah oui, tout de même, tu n’y vas pas de main morte avec ta conclusion !
Discuter avec un mec sur AUM, c’est tromper?
Hello Anadema
Ce genre de posts sont ceux que j’apprécie le plus dans ton blog : car ils parlent de l’aspect sociologique des sites de rencontres, et ton blog permet aussi de prendre un certain recul tant sur l’évolution des sites de rencontres au travers d’internet que sur les rapports homme femme toujours au travers des sites de rencontre.
Je me rapelle que tu disais qu’en 2003 les rencontres via meetic étaient « avant-gardistes » (c’est pas le terme que tu employais mais l’idée) et tu disais égalemet qu’elles se banaliseraient et deviendraient même le lot commun à l’avenir. 6 ans plus tard c’est déjà plus ou moins le cas. Qui aurait cru que ça aille aussi vite ?
Je te lis depuis 2004 et je pense que t’es l’un des rares blogs qui a su durer aussi longtemps sur le sujet, t’as su te renouveler au gré des nouveaux sites de rencontres. Il y’a encore 3-4 ans les blogs parlant de rencontres foisonnaient, rares sont ceux qui ont survécu.
Encore une fois ce que j’apprécie le plus dans ton blog c’est « l’étude comportementale et humaine » que l’on peut tirer de tes aventures plus que tes histoire de quéquettes :)
Sinon t’as pas répondu à mon précédent commentaire, tu veux vrmt jouer la discrétion à ce point ? :)
T’as encore bcp d’histoires sous le coude ?
A+
Je ne me manifeste que trop rarement mais je dois avouer, tout comme Fuel, que ce genre de pots m’intéresse tout particulièrement. Et je ne peux que saluer ta passionante analyse des rapports humains/amoureux, j’avoue que je te rejoins sur de nombreux points, comme par exemple la pseudo-« fidélité » des couples sur le long terme. Le problème étant que mème si beaucoup le pensent, la plupart ne se l’avoueront jamais. Hypocrisie, quand tu nous tiens ! =)
@ ralphy : ah bon, tu trouves ? C’est une conviction certes personnelle, mais maintenant que j’y repense, j’ai même plutôt l’impression de ne pas inventer grand-chose, malheureusement ! Parce qu’il n’y a rien qu’Internet n’ait pas révolutionné là où il a eu une emprise. Internet a bouleversé le monde de la musique rien qu’avec le piratage (suffit de voir le nombre de personnes que l’on trouve au rayon disques de la FNAC et de comparer avec il y a 15 ans…). Internet a révolutionné la communication, l’accès à l’information autant que le shopping. Internet a bouleversé la toute puissante télévision (la progression de la consommation TV des moins de 15 ans depuis vingt ans est d’ailleurs effarante…). Internet est peut-être en passe de transformer également notre manière de penser (comme l’avait souligné Letesle en nous donnant le lien de cet article). Internet est en train de révolutionner également la sexualité (pratiques et découverte). Bref, la liste est longue. Pour ma conclusion (qui en fait est plutôt un aparté que je n’ai pas pu m’empêcher de faire), Internet permettant de multiplier de manière extraordinaire les contacts, je vous laisse imaginer la suite…
@ An’ : il faudrait inventer un terme pour décrire ce qui est de la « tromperie soft » !
@ Fuel : Merci pour ton commentaire, il me va droit au coeur ! :-)
Oui, les choses ont incroyablement évolué en 6 ans : les rencontres sur Internet, c’était un sujet relativement tabou. Lier la technologie aux relations humaines, c’était vu comme étant assez glauque ou prêtant à sourire. Il fallait qu’Internet ne soit qu’un outil d’information. C’est un peu comme les téléphones portables au tout tout début : on trouvait ridicule de téléphoner dans un lieu public, c’était perçu comme de la frime. Aujourd’hui, c’est banal. Il en va de même pour les rencontres sur Internet même s’il y a encore du progrès à faire (il m’arrive encore de lire des a prioris négatifs sur les sites de rencontres auxquels on colle encore une étiquette de désespoir).
Et sinon, en effet : je tiens à rester discret !!
@ Sands : merci aussi pour ton commentaire et tes encouragements. Ce sujet de la fidélité me tient en effet beaucoup à coeur parce que je me rends compte avec l’âge à quel point c’est une forme d’hypocrisie culturelle, dont en plus il est difficile de se débarrasser.
Je trouve que ton analyse minutieuse de l’addict est très pertinente. A ce jeu là, je pense que les sites de rencontres ont effectivement modifié les rapports humains. Beaucoup d’hommes et de femmes utilisent les sites de rencontres pour jouer et satisfaire les désirs primaires sans aucune contrainte. Il reste le risque de s’y perdre et beaucoup l’apprennent à leurs dépens.
Par contre notre société s’est façonnée autour des nouvelles utilisations d’Internet. Les nouveaux outils vont de plus en plus vite et gagnent de plus en plus de terrain. Je ne serai pas étonné que dans 20 ans les gens consommeront plus via un réseau que dans des magasins.
Quoiqu’il en soit, les gens deviennent dépendants des nouvelles technologies et, travaillant dans le domaine, je vois ce qu’Internet fait aux gens. Bourdieu aurait pu faire une extrapolation de « De la television » à « D’Internet » aujourd’hui. Les mêmes concepts et les techniques s’appliquent mais à une plus grande échelle.
Rendez-nous l’humain :-D .
Bizarre qu’un journaliste s’intéresse en 2009 aux « rencontres sur internet » qui existent depuis la création d’internet. J’ai rencontré ma première fille à l’été…1998 avec le chat de wanadoo, c’était l’excitation totale, j’en avais raté mon avion. Mais 22 ans je me sentais un peu looser d’en passer par là, donc je n’ai pas donné suite, dommage…
En 2003 c’était encore la grande époque mais maintenant je crois que c’est fini le temps où on pouvait conclure tous les jours et où on s’y retrouvait plus dans son répertoire!
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