De quoi parlent les gens
Je me suis souvent plaint du faible niveau de conversation de beaucoup de femmes sur les sites de rencontres (comme ici ou encore là). Mais c’est malheureusement quelque chose que je constate très régulièrement aussi dans le « monde réel » et qui m’éclate à la figure quand je me retrouve dans des soirées brassant pourtant des gens venus de tous les horizons : les sujets de conversation restent la plupart du temps incroyablement superficiels.
De quoi parlent les gens ? De leurs loisirs, de leurs vacances, de leur famille ou de leur couple (mais dans un aspect purement factuel). Ils parlent aussi des derniers films et séries qu’ils ont vus, ils parlent de restaus, de cocktails et c’est à peu près tout. Rien en général qui sorte de leur quotidien immédiat. Et surtout, rien qui soit trop conceptuel, théorique, abstrait. Oubliez tout ce qui est actualité (sauf si c’est pour parler des soldes ou du coronavirus), oubliez tous les sujets de fond, tous les sujets de société.
Cette semaine encore, j’ai dû faire ce terrible constat lors d’un pique-nique parisien passé avec une quinzaine de personnes (j’en connaissais la moitié). Trois heures passées ensemble et pas un mot sur l’actualité. Pas un mot sur les émeutes qui ont enflammé le pays il n’y a même pas une semaine. Pas un mot sur n’importe quel sujet de notre temps. Le pique-nique aurait pu se passer il y a 50 ans, ça aurait probablement été le même. Les sujets passionnants pourtant ne manquent pas et sont loin d’être tous politiques (même si presque tout est devenu politique aujourd’hui). Au hasard : l’intelligence artificielle ? On est en train de vivre une révolution technologique en direct et quoi, ça n’intéresse personne ?
Alors, de quoi ont-ils parlé en particulier ? Ça n’a pas loupé : de vacances et de loisirs, le tout entrecoupé de plaisanteries répétées sur le thème de l’alcool. « Ahahah, t’étais encore bien imbibée, toi, l’autre jour ! ». Ne croyez pas que c’était un groupe de prolos, c’était plutôt des gens de la classe moyenne ou plus, des cadres, ingénieurs et compagnie.
Qu’on ne se méprenne pas : j’aime bien aussi avoir des conversations légères, parler de la température de l’air, de L’Amour est dans le Pré, du scandale de la disparition du rhinocéros pour les Choco Fresh. Aucun problème. Mais… que de ça ? Tout le temps ? Les gens n’ont-ils vraiment rien d’autre dans la tête que leurs vacances et les petites choses de leur quotidien ? Aucun autre centre d’intérêt dans l’existence, rien ?
Ce n’est donc pas la première fois que ça m’arrive et c’est pour cela que ça me frappe : je ne compte plus les soirées et les pots concernés par cet espèce de vide intellectuel, de manière générale toutes les occasions où j’ai pu me retrouver au milieu de gens que je n’avais pas l’habitude de fréquenter (ce qui m’a permis de faire le constat parce qu’évidemment, ça ne me fait pas ça avec mes amis proches). D’aucuns voudront m’expliquer que c’est juste du « small talk », que les gens préfèrent éviter les sujets compliqués ou polémiques et juste passer un bon moment. Ah oui, parce que c’est ça, la définition de passer un bon moment : ne parler de rien ? Et ce n’est pas non plus une histoire de manque d’intimité, les conversations sont les mêmes entre les gens qui se connaissent bien.
Sur les sites de rencontres, c’est donc pareil : je ne compte plus non plus le nombre d’annonces Tinder (quand les femmes prennent la peine d’en écrire une…) où je lis en substance « Passions : j’adore voyager et aller boire un verre avec mes amis ». C’est-à-dire que je n’ai pas terminé de lire leur annonce que déjà je m’ennuie en leur compagnie…
On pourrait vite être tenté d’aller trouver une explication dans le niveau intellectuel moyen, et tout ça me rappelle une vieille blagounette avec Einstein qui n’est pas complètement dénuée de sens :
Einstein est à une soirée, quelqu’un vient l’aborder. Einstein lui demande :
– Quel est ton Q.I ?
– 140.
Alors Einstein lui parle de la relativité, des trous noirs…
Un peu plus tard, un autre personne vient le voir. Einstein lui demande :
– Quel est ton Q.I ?
– 120.
Alors Einstein lui parle du droit international, des problèmes éthiques dus aux manipulations génétiques…
Un peu plus tard, une troisième personne vient l’aborder. Einstein lui demande :
– Quel est ton Q.I ?
– 100.
Alors Einstein lui parle de la pollution, du prix de l’essence…
En fin de soirée, une dernière personne vient l’aborder. Einstein lui demande :
– Quel est ton Q.I ?
– 80.
Einstein lui répond alors :
– Comment ça va, le PSG ?
Hihi ! Pour autant, si mon constat est amer, c’est avant tout parce que je le fais pour des groupes de gens qui ne sont justement pas censés avoir un faible QI : des psys, des profs, des cadres sup, des entrepreneurs divers et variés, des formateurs de ceci et de cela. Que des gens avec un certain niveau social, censés avoir des centres d’intérêt évolués.
Alors je soupçonne une seconde cause : une certaine forme de paresse intellectuelle. C’est quelque chose que j’ai déjà perçu à plusieurs reprises quand il arrive parfois que l’on cherche à se justifier pour ne pas avoir à aborder un sujet de fond : « plus tard, pas maintenant » (quand j’aurai du temps de cerveau disponible ?), « je suis fatigué par ma semaine de travail, j’ai juste envie de me reposer ». Peut-on leur en faire grief ? Penser n’est pas censé être un effort, mais un plaisir. Si les capacités déterminent l’intelligence, il faut aussi de la volonté pour qu’elle puisse s’exprimer.
Pour finir, tout cela est quand même assez contradictoire avec ce que je peux observer sur Internet : j’ai l’impression d’y voir tout le temps plein de gens intéressants et passionnés se lancer dans de longs raisonnements sur tout un tas de sujets un peu partout, tant sur Reddit que sur nombre de forums, et même Twitter ou Youtube. Pourquoi tous ces gens intéressants sur le net semblent s’être évaporés dans le monde réel ? Pourrait-il y avoir un biais avec le milieu parisien moyen qui serait devenu hyper conformiste et un peu stupide ?
5 commentaires :
Déjà, je tiens à t’exprimer ma surprise et mon plaisir à te voir reprendre ton blog (découvert sur le tard, pour ma part ?) voilà plus de 10 ans… Je/nous n’y attendions pas.
Peut-être avions-nous secrètement espérer que ces années de rencontres, de découvertes et de recherches avaient pu t’amener vers ce que tu cherchais… une belle demoiselle pour une belle histoire.
Peut-être que nous t’imaginions, de ce fait qui n’en est finalement pas un, marié avec des enfants.
Le silence et l’absence dans la sphère internet sont des vecteurs d’interprétations.
Aussi, je ne suis pas déçu pour toi car ainsi va la vie, mais heureux de te voir reprendre ta plume.
Pour revenir sujet de ce post… oui, hélas, nous sommes arrivés sur une aseptisation des dialogues qui en ont perdu leur profondeur et empêche les débats de fonds. Peut-être dû aux mouvements extrêmes (politiques… il y a 20 ans quand tu ouvrais ton blog, qui se vantait comme aujourd’hui voter FN?), peut-être dû au trop présent et pesant « bien pensance » et du « politiquement correct » qui fait qu’on n’ose plus se prononcer sur rien… de peur de choquer. Ou par désir de ne plus se prendre la tête (la surmédiation est déjà tellement stressante/chiante) le temps d’une conversation. En 20 ans, la société a changé (je défonce une porte ouverte, là ?), nos rapports aux autres ont donc conséquemment changé.
Simple constat.
@Wilde : Ainsi va la vie, oui. Merci pour ton commentaire !
Je pense que si les échanges deviennent difficiles, c’est parce que les populations commencent à évoluer différemment et séparément, et que nous commençons à ne plus rien avoir en commun si ce n’est d’habiter dans un même lieu géographique. On le voit dans tous les sujets de clivage aujourd’hui : on est au-delà d’une simple histoire d’opinion.
Mais concernant mon sujet, je ne crois vraiment pas qu’il s’agisse de prudence, je sens vraiment une absence de centres d’intérêts très élaborés. On ne se refait pas, et les sujets de conversation naissent spontanément quand on s’intéresse à beaucoup de choses.
Je te conseille de visiter le site Atypikoo…qui sait ?
Cela faisait bien longtemps que j’avais arrêté de croire au retour d’Anadema, et pourtant te revoilà… C’est drôle, parce que certes tu as pris 10 ans, mais en te remettant à écrire c’est comme si tu rajeunissais tes électeurs de 10 ans ! Merci pour eux !
Bref, je voulais juste répondre à cet article car si en effet on peut imaginer que la bêtise a tendance à se propager et que la paresse intellectuelle aussi, j’entrevois une troisième raison. De nos jours, lancer la discussion sur un sujet d’actualité est la meilleure manière de créer des tensions dans un groupe. Ce phénomène a été grandement boosté par le COVID, mais ça avait déjà commencé avant.
Globalement, la tendance actuelle des idées est triple : nous sommes poussés à émettre un avis sur absolument tout (y compris ce à quoi on ne comprend rien), mais également à mettre de côté toute nuance, et aussi de refuser absolument l’idée qu’on puisse se tromper. Avec ce cocktail, on obtient une polarisation maximale des individus, de leurs idées et de leurs positions. Et dès lors, il n’est plus possible de discuter de quoi que ce soit d’un tant soit peu complexe et/ou clivant, et la seule manière d’éviter des conflits est de contourner ces sujets le plus possible.
Voilà. Comme je disais au début, tes deux éléments me semblent juste aussi, mais je pense que ce troisième s’y ajoute.
Je m’en vais de ce pas lire les articles suivants !
@Celeri : Héhé, le blog comme fontaine de Jouvence, je n’avais pas vu ça comme ça ! :D
Oui, la crainte de la polémique ne doit certainement rien arranger aujourd’hui dans les conversations si on doit ajouter à la paresse la lâcheté. On sait comme le politiquement correct à étouffé la libre parole aux États-Unis, ça doit faire pareil en France avec retard. Je veux bien que cela explique l’absence de toute référence aux émeutes 4 jours après seulement pour ce pique-nique en particulier (même si je trouve cela choquant).
Mais quand même, il ne manque pas de sujets profonds qui ne souffrent d’aucune polémique et, vraiment, ce n’est pas la crainte du sujet épineux que je crois ressentir dans tout ce que j’ai pu observer ces dernières années. On sent bien ce qui anime les gens et on voit bien le niveau des conversations, ce qui peut les intéresser ou non.